Une méthodologie unique, mal appliquée et toujours discutée !
Comment déterminer la valeur locative d’un hôtel ? En quoi consiste la méthode hôtelière actualisée ? Quel est le taux d’effort locatif des établissements hôteliers ? Quelles sont les autres méthodes de calcul de la valeur locative de marché et / ou de renouvellement ?
SOMMAIRE
C’est certainement l’actif qui fait l’objet de plus de discussions et de contentieux sur le plan judicaire tant les désaccords entre Bailleur et Preneur sont nombreux au moment du renouvellement de Bail. Bon nombre d’Experts se sont attelés à la méthode hôtelière, pourtant encore bien mal appliquée.
Seule l’expérience et la connaissance des jurisprudences permettront une bonne application de la méthode hôtelière et ainsi obtenir la juste valeur locative auprès des Juges. L’appui d’un avocat spécialisé en la matière est fortement recommandé tant les schémas d’application peuvent différés.
L’ÉVOLUTION DE L’ACTIVITÉ HÔTELIÈRE EN 40 ANS
La valeur locative d’un établissement hôtelier a toujours fait l’objet de discordes entre propriétaires – bailleurs et exploitants – locataires, et parfois même de désaccords entre Experts et Juges du Fonds ou du Loyer. En effet, la mouvance des fonctionnements d’exploitation des hôtels indépendants et chaînes hôtelières, couplée aux évolutions des expériences clients, a fortement chamboulé les méthodes d’évaluations applicables aux hôtels, dans le cadre de la fixation d’un « juste loyer ». Désormais, la méthode du loyer métrique a définitivement perdu son sens pour cette classe d’actif (voir nos articles sur les loyers commerciaux).
Rappelons tout d’abord que les établissements hôteliers s’identifient à des locaux monovalents, que la jurisprudence définie comme locaux construits en vue d’une seule utilisation de par ses aménagements, de sorte qu’il faudrait exécuter de lourds travaux de restructuration pour les affecter à un autre usage. La Cour d’Appel de Paris précise à ce titre qu’il doit s’agir d’aménagements lourds de gros œuvre sur les volumes, la distribution et les aménagements internes.
Par dérogation aux dispositions relatives à la fixation du prix du loyer renouvelé dans le Code de commerce, l’appréciation du loyer renouvelé des locaux monovalents est réalisée à partir des usages observés dans la branche d’activité considérée (Art. R. 145-10 du Code de commerce) et le loyer de renouvellement échappe au mécanisme de plafonnement du loyer prévu par le statut des baux commerciaux (voir l'impact lors du renouvellement de bail).
En conséquence, les usages observés en matière hôtelière est la fixation de la valeur locative à partir d’un chiffre d’affaires, pouvant s’identifier à une méthode des ratios professionnels qui consiste à déterminer le taux d’effort admissible pour l’exploitant d’un commerce en fonction du chiffre d’affaires et des profits qu’il réalise dans les locaux qu’il loue, notamment du fait de leur localisation.
Néanmoins, quelle base de chiffres d’affaires retenir dès lors que :
Dès les années 1980 : apparait les tour-opérateurs, intermédiaires qui préemptent dès lors une partie du chiffre d’affaires avec des commissions allant de 12 à 20% et imposent des concessions de réductions de prix pour sa clientèle ;
Dans les années 2000 : se développe la commercialisation en ligne avec la naissance du Yield, une tarification flexible avec des remises aléatoires au quotidien ;
Entre 2008 et 2010 : arrive sur le marché AirBnb, des Online Travel Agencies (OTA) comme Booking, Expedia, Hotel.com, et des chambres d’hôtes (Abritel), à l’origine d’une évolution sensible des prix à la nuitée et des taux d’occupation, couplée à de fortes commissions de la part de ces nouveaux opérateurs ;
En Juillet 2012 : est voté la Loi Novelli, avec la création d’une nouvelle catégorie 5* et d’un label « Palace », chamboulant tout le classement des hôtels avec bon nombre d’établissements 2* ou 3* passés 3* et 4* respectivement ;
En Juin 2014 : est voté la Loi Pinel, à l’origine d’un bouleversant de l’équilibre des baux, en interdisant l’imputation de certaines charges usuellement réputées à la charge du locataire dans le cadre des actifs hôteliers, en particulier celles des Gros travaux (Art. 606 du Code civil) ou des travaux de mises aux normes PMR. En effet, il était d’usage de considérer que les extérieurs de l’immeuble constituaient, à l’instar des boutiques, la vitrine de l’enseigne et donc de l’exploitant, qui se devait de l’entretenir en totalité ;
Actuellement : on assiste à une véritable révolution des expériences clients, où les établissements hôteliers diversifient de plus en plus leurs activités, au-delà du simple hébergement pour rester concurrentiel et s’adapter aux nouvelles attentes des consommateurs : transformation des hôtels en « lieu de vie », design et expérientiel, et non plus seulement de passage ; attentes désormais portées sur le soin, la qualité et les services complémentaires (expériences culinaires, relaxantes, culturelles …). Les précurseurs sont notamment Mama Shelter avec une offre alliant hôtellerie, bar et restauration, 25 Hours et Jo & Joe (Groupe Accor), Moxy (Marriott) ou Radisson Red.
En outre, cette classe d’actif est fortement dépendante des conjonctures économiques et en particulier des flux de population et du tourisme de loisir mondial. Ainsi, certains événements peuvent être à l’origine de fortes fluctuations de chiffre d’affaires pour un même établissement hôtelier, indépendamment de sa notoriété et de son expérience client. C’est d’autant plus vrai ces 10 dernières années où le secteur hôtelier a pu traverser la crise financière de 2009, les attentats de 2015 et désormais subi la crise sanitaire de 2020.
LA MÉTHODE HÔTELIÈRE ACTUALISÉE DE 2016
Il s’agit de la seule méthode applicable par les Experts pour déterminer la valeur locative de renouvellement d’un hôtel, désormais reconnue et validée par la jurisprudence (CA Versailles, 12/09/2019 – RG n°18/00628 et TJ Paris, 23/01/2020 – RG n°17/10268). Bien que simple en théorie, elle reste délicate à mettre en œuvre en pratique. Bon sens et jugement peut être nécessaire pour certaines exploitations aux multi-activités.
La recette « hébergement » (assiette de la Valeur Locative « hébergement ») : elle est établie théoriquement à partir des prix praticables issues de sources documentaires / statistiques (TGI Paris, 23/06/2015, RG n° 12/15303) et non des prix affichés par l’exploitant ; déduction faite de la taxe de séjour selon les données. Les prix praticables sont fonction :
du secteur géographique (quartiers de Paris ou Villes en province) ;
de la catégorie d’établissement (économique, moyen ou haut de gamme) ;
de la typologie des chambres (simple, double, familiale, suite …) ;
du standing et des prestations.
Auquel on applique un taux d’occupation : déterminé à partir de sources documentaires et études statistiques diffusées par les syndicats, professionnels ou services économiques publics, indépendamment des qualités propres à l’exploitant (aptitudes commerciales, bonne gestion, notoriété) et de la concurrence proche.
Puis un abattement pour commissions : déduction éventuelle des commissions versées aux OTA (10 à 30% de jurisprudence constante en Ile-de-France pour les hôtels milieu de gamme 3*, en moyenne de l’ordre de 17 – 18% ; à défaut d’études statistiques suffisantes, les commissions figurent dans le compte de résultat), appliquée au chiffre d’affaires hébergement usuellement généré par ce canal de commercialisation (50 à 80% selon le type d’établissement).
Le taux de prélèvement / taux d’effort sur le chiffre d’affaire « réalisable » : il s’agit ici de retenir un taux d’effort sur le chiffre d’affaires « théorique » maximal, corrigé du taux d’occupation et de l’abattement pour commissions, correspondant alors au chiffre d’affaire « réalisable » par l’exploitant dans le cadre d’une exploitation normale, hors conjonctures défavorables. Ce taux est dépendant du classement hôtelier et de la catégorie de l’établissement :
25 à 35% : résidences hôtelières ou para-hôtelières ;
21 à 25% : hôtels de préfecture, 1* ou 2* en zone industrielle ou excentrée, et sans prestations de services ;
18 à 21% : hôtels 1* ou 2*, quelques prestations de services ;
15 à 18% : hôtels 3* ou 4*, en centre-ville ou périphérie ;
12 à 15% : hôtels 5* ou « Palaces ».
Les recettes « annexes » (assiettes de la Valeur Locative « annexes ») : inclues dès lors qu’elles correspondent à la mise à disposition d’une surface donnée dans les locaux loués. Elles sont établies à partir de prix « normatifs » sensés correspondre aux prix effectifs de l’hôtelier, auxquelles on applique des taux de prélèvement différenciés fonction de l’intensité du travail de l’exploitant (plus il est conséquent, moins la part de l’outil immobilier n’a d’importance et donc le taux sera faible) :
40 à 50% : location de parkings ;
30 à 40% : location de salles de séminaires ou conférences ;
20 à 30% : service petits-déjeuners (taux de captage de 60 à 80%, représente environ 8 à 12% du CA HT total) ;
15 à 20% : organisation de noces/banquets (terrasse, jardin, parc) ou espace bien-être/détente (SPA) ;
10 à 15% : restauration, service midi et/ou soir, rattachée à l’hôtel.
Les correctifs de la valeur locative totale « hébergement + annexes » : ils correspondent aux éventuelles majorations ou abattements supplémentaires de la valeur locative de renouvellement, fonction des conditions du bail et au regard de la jurisprudence. Il s’agit couramment de la location-gérance/sous-location autorisée par le Bailleur, la destination étendue à d’autres activités, mais également la refacturation des charges incombant habituellement aux Bailleurs (606, assurance immeuble, travaux réglementaires et de mises aux normes), désormais encadrée par la Loi Pinel de 2014.
Bien que cette méthodologie soit commune à l’ensemble des professionnels, il n’est pas rare d’observer une mauvaise application ou l’omission de certains abattements pour commissions OTA (application sur la totalité du CA et non sur une partie du CA réalisable) ou correctifs jurisprudentiels (taxe foncière, travaux réglementaires, droit de préférence au profit du Bailleur, sous-location / location-gérance autorisée …). La conséquence en est la sur ou sous-évaluation de la valeur locative des locaux, alors à l’origine de contentieux judiciaires.
QUID DE LA MÉTHODE ANGLO-SAXONE
Cette méthode comptable et basée sur des ratios anglo-saxons est préconisé par certains Experts ; elle se réfère notamment à deux notions :
Le RevPar : REVenue Per Available Room, correspondant au chiffre d’affaires HT « hébergement » généré par chacune des chambres disponibles de l’établissement (statistiques issues pour l'essentiel des hôtels de chaîne) ;
Gop : Gross Operating Profit, à comparer au résultat brut d'exploitation après réintégration de certains postes de charges fixes (loyer, impôt foncier, taxe professionnelle, assurance immeuble, amortissements). Une partie de ce Gop doit revenir au bailleur en contrepartie de la jouissance des locaux. Ce pourcentage est variable en fonction de la catégorie de l'hôtel. A titre indicatif le Gop théorique normatif pour les hôtels 2* à 3* s’établit à près de 30 à 40 % du CA HT, à partager pour moitié au profit du bailleur au titre du loyer et au locataire au titre de l’exploitation. Il peut se comparer approximativement à l’Excédent Brut d’Exploitation (EBE).
A titre indicatif le Gop théorique normatif pour les hôtels 2* à 3* s’établit à près de 30 à 40 % du CA HT, à partager pour moitié au profit du bailleur au titre du loyer et au locataire au titre de l’exploitation. Il peut se comparer approximativement à l’Excédent Brut d’Exploitation (EBE).
Cette méthode qui s’appuie sur des critères « normatifs » de performance d’exploitation par rapport aux autres exploitations de même nature, est parfaitement adaptée aux chaînes intégrées, et en particulier aux grosses exploitations modernes. Cependant, elle parait difficilement applicable à la petite hôtellerie indépendante.
Ceci est confirmé dans une décision du TGI de Paris en mai 2014 qui considérait que cette « méthode de calcul selon le revenu moyen par chambre disponible (RevPar) n'est pas celle majoritairement en usage en l'état actuel du marché et de la jurisprudence, cette méthode d'origine anglo-saxonne, repose sur des données statistiques encore incertaines et aléatoires [...] Que surtout, ce mode d'estimation s'adresse principalement aux hôtels de chaîne, et rend mal compte des hôtels indépendants et des hôtels intégrés volontairement dans des chaînes. »
QUELLE VALEUR LOCATIVE RETENIR SUITE AU CONTEXTE DE CRISE SANITAIRE ?
La crise sanitaire a été à l’origine de la fermeture de plusieurs établissements hôteliers, suite aux conséquences économiques et / ou politiques (fermetures aux frontières et chute drastique du tourisme international, confinement et arrêt brutal du tourisme de loisir ou d’affaires)..
Si les fermetures d’hôtels étaient initialement prévues pour quelques semaines seulement en début de crise, il s’est avéré que sur la période 2020 – 2021, les hôteliers ont dus fermés pour plus de 4 mois à minima, outre des jauges d’accueil limitées sur certaines périodes d’ouvertures. Outre les obligations de fermetures administratives, en raison de taux d’occupation extrêmement faibles ne permettant pas d’assumer les charges de fonctionnement, bon nombre d’hôteliers sont restés fermés pour des raisons économiques.
A cet effet, le secteur de l’hôtellerie enregistrait une baisse de fréquentation de 70% de la clientèle internationale en 2020, avec un taux d’occupation moyen divisé par 3 en 2020 (entre 20 et 26% en région / Ile-de-France) ou par 1,5 / 2 en 2021 (entre 36 et 47% en Ile-de-France / région). Dès lors, si la menace Covid ou de fermeture semble désormais relever du passé, il n’en demeure pas moins que les conséquences économiques seront plus étendues dans le temps, avec un retour à la normale du tourisme mondial attendu pour 2024.
Ainsi, la question se posait pour les Bailleurs, Preneurs et Experts de savoir sur quelles bases de chiffre d’affaires réalisables devait-on s’appuyer pour déterminer de la valeur locative de renouvellement, quand les données statistiques des années 2020 et 2021 se trouvaient faussés, sans référentiel de marché ?
Certains experts suggèrent de retraiter le chiffre d’affaires normatif sur des périodes triennales successives ( 1ère période de 3 ans aux paramètres d’exploitation dégradés et 2 autres périodes triennales aux paramètres peu ou non dégradés, avec un retour quasi normal d’exploitation). Il s’agit là, en d’autres termes, d’un « loyer par paliers » lissé, que la jurisprudence ne semble pas avoir écartée à ce jour. Bien que ce raisonnement parait « juste » dans le cadre de négociations amiables entre les parties, il repose sur une projection d’’un état futur, hypothétique et incertain, dont les paramètres sont actuellement retenus de manière très subjective selon nous.
Aussi, il serait difficile de quantifier les éventuelles aides financières publiques perçues dans le cadre des fermetures administratives et de déterminer la part des indemnités compensatrices de perte de chiffre d’affaires de celle sensée couvrir les charges locatives immobilières.
Dès lors, pour cette classe d’actif particulière au sein d’un marché segmenté, bon sens et objectivité doivent être préconisés dans ce contexte de crise sanitaire, et de surcroît de crise touristique (guerre en Ukraine, tensions politiques internationales …), les juges de loyer étant susceptibles de préconiser un abattement forfaitaire et arbitraire sur la valeur locative de renouvellement, au même titre qu’ils retiennent une appréciation négative des valeurs locatives commerciales pour les boutiques traditionnelles de centre-ville.
Il vous est toujours permis et conseillé de faire appel à un Expert Immobilier spécialisé, qui saura vous accompagner dans l’évaluation de la valeur locative de marché et / ou de renouvellement de votre hôtel, au moyen d’une analyse complète de votre bail, d’études de marché détaillées et de comparables probants, avec une jurisprudence à l’appui des conclusions. Le cabinet B&E Partners saura vous accompagner dans cette mission.
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